Photo: Martine Béland
UN LIVRE DE POÈMES
Extraits A Book of Poems, Al Que Quiere!
I
UN PRÉLUDE
Je ne connais que les rochers dénudés d’aujourd’hui.
Mon algue brune y repose, —
veines de quartz vert pliées dans le schiste mouillé;
mes mares laissées par les flots y reposent —
vagues calmes, clémentes;
de blanches étoiles de mer y raidissent;
Des murmures de l’air poissonneux touchent mon corps;
« Sœurs », leur dis-je.
AUBE
Des chants d’oiseaux extatiques martèlent
l’immensité creuse du ciel
avec des cliquetis métalliques —
l’assomment à coups de couleurs
là-bas au loin, —
l’assomment, l’assomment
avec une ardeur triomphante qui s’érige, —
y mélangent de la chaleur,
l’accélérant en un changement
qui se répand
qui éclate follement contre lui
tandis que divisant l’horizon,
un lourd soleil
se lève — est levé —
petit à petit, à la limite des choses, —
enfin libre
dehors, au large — !
s’affairant
glorieux dans sa pleine libération ascendante —                                                            les chants cessent.
AU PORT
La paix se trouve sûrement là, entre les grands quais, mon esprit;
là, avec les navires amarrés dans le fleuve.
Sors, timide enfant,
et blottis-toi parmi les grands navires qui parlent avec calme.
Peut-être même t’endormiras-tu auprès d’eux et seras-tu soulevée jusqu’à leurs genoux, et au matin —
Il y a toujours le matin pour se rappeler de tout!
À quel sujet potinent-ils? Dieu sait.
Et Dieu sait que cela importe peu, car nous ne pouvons les comprendre.
Et pourtant, c’est certainement au sujet de la mer, aucun doute.
C’est un son calme. Repose-toi! C’est tout ce qui m’importe maintenant.
À présent leur odeur nous endormira.
Sens ! Ici l’eau de mer se mêle au fleuve — 
du moins, on dirait — c’est peut-être autre chose — qu’importe?
*
L’eau de mer! Elle est calme et lisse, ici !
Comme ils bougent lentement, éprouvant petit à petit
les amarres qui tombent et qui grognent dans leur agonie.
Oui, ils parlent certainement de la haute mer.
GOÉLANDS
Mes concitoyens, là-bas dans le vaste monde,
il s’en trouve beaucoup avec qui il serait bien plus
profitable pour moi de vivre plutôt qu’ici avec vous.
Ils bourdonnent autour de moi, m’appelant, m’appelant,
et pour ma part je leur réponds, aussi fort que je le puis,
mais eux, libres qu’ils sont, passent leur chemin!
Je reste! Alors écoutez-moi!
Car vous n’aurez pas de sitôt un autre chanteur.
Je dis d’abord ceci : vous avez vu,                                                                                        n’est-ce pas, les étranges oiseaux qui parfois
l’hiver se reposent sur notre rivière ?
Qu’ils vous amènent donc à bien penser aux tempêtes
qui en poussent beaucoup à chercher des refuges. Ces choses                                       ne se produisent pas sans raison.  
Et ensuite je dis ceci :
une fois près des nuages j’ai vu un aigle tourner                                                                  au-dessus d’une de nos églises principales —                                                                 c’était Pâques — une journée magnifique! — :
trois goélands arrivèrent de la rivière
et lentement se dirigèrent vers la mer !  
Oh, je sais que vous avez vos propres hymnes, je les ai entendus —
et parce que je savais qu’ils invoquaient un grand protecteur
je ne pouvais vous en vouloir, peu importe
à quel point ils faisaient outrage à la vraie musique —  
Vous voyez, il ne sert à rien de nous en prendre les uns aux autres,
et comme je vous l’ai dit, à la fin
les goélands allèrent très silencieusement vers la mer.
William Carlos Williams (1883-1963) est un poète, traducteur, critique littéraire et romancier américain. Son influence s’est fait ressentir après la Seconde Guerre mondiale avec ses livres Paterson, Asphodèle et Tableaux d’après Breughel. Il est devenu ensuite une référence majeure pour les écrivains de la Beat Generation.
Martine Béland vit en Nouvelle-Écosse où elle écrit, traduit et travaille. Elle a publié l’essai Mégaptère en 2023 (Leméac) et plusieurs études et traductions de philosophie, dont deux traductions d’œuvres de Nietzsche chez Flammarion et la traduction, en cours pour GF, des essais d’Emerson.