QUELQUE CHOSE À DIRE
Cécile A. Holdban, Le rêve de Dostoïevski, Paris, Arfuyen, 2025.
S’il fallait situer le parcours de Cécile A. Holdban dans le contexte de la poésie française contemporaine, je dirais qu’il n’est le reflet d’aucune mode, d’aucune idéologie particulière, et qu’il répond avant tout à un impérieux et salutaire besoin de créer :
J’ai une chose à dire,
mais cette chose ne bouge pas
elle reste recroquevillée, enroulée sur elle-même
dans un coin sombre, à un endroit
où on ne peut la voir […]
Cette œuvre en devenir, constituée à ce jour d’une dizaine de recueils, obéit à de véritables pulsions créatrices et semble n’appartenir à aucune époque. Je constate en revanche que plusieurs poèmes du Rêve de Dostoïevski témoignent d’une nouvelle sensibilité à la nature. Une sensibilité « éco-poétique », plus précisément, à laquelle pourraient faire écho en France des livres de David Dielen, poète et fondateur de la revue Les Haleurs, de Fabienne Raphoz, associée notamment à la collection Biophilia des éditions José Corti, ou encore de Pierre Vinclair, animateur de la revue Catastrophes. Cécile A. Holdban ne jette pas sur la faune et la flore un regard scientifique, ce qui nous situerait davantage sur le terrain du nature writing, mais elle éprouve une fascination incontestable pour les végétaux, les oiseaux et les animaux en général, qu’elle évoque parfois avec cette inquiétude écologique qui caractérise notre époque. Un poème s’attarde ainsi aux « derniers loups » qui, avec leurs « pattes blessées », deviennent des « métaphores de notre désir sauvage / clôturé au jardin ».
Artiste accomplie – ses encres et ses aquarelles ont accompagné au cours des dernières années près d’une soixantaine de livres publiés en collaboration avec des écrivains –, Cécile A. Holdban aime également dessiner ce que la nature lui donne à voir, si bien que les gestes du peintre et du poète tendent à se confondre sous sa plume. Un parfum mallarméen émane de certains vers qui thématisent l’acte de création :
oh impossible fleur
fleur, rouge fleur
fleur impossible
ce que tu crois être
ton ombre le dessine     
En quoi consiste le « rêve » que le titre du recueil évoque ? Un texte de présentation qui précède les poèmes mentionne qu’il s’agit de « faire alliance avec la vie ». On pourrait dès lors associer le projet de Cécile A. Holdban à la quête d’authenticité qui habite plusieurs personnages du romancier russe. Il serait par ailleurs possible d’interpréter ce « rêve » au sens propre du terme, dans la mesure où plusieurs très beaux poèmes comportent une dimension onirique :
Et si la ruche était bleue
et si en ses fonds où reposent vanités
et vieilles barques dans leurs alvéoles
cité d’abeilles pétrifiées
se trouvait la forme encore jamais cernée,
l’autre versant du sommeil ?
Des vers consacrés à des pierres, à « toutes les pierres qui ont un visage », comme on peut le lire, proposent eux aussi des « visions » rimbaldiennes, des sortes d’hallucinations en zoom avant qui me semblent particulièrement intéressantes.
Le Rêve de Dostoïevski contient des hommages à des écrivains qui ont façonné la modernité, de Dostoïevski à Borges en passant par Pessoa, Walser et Kafka. « Je marche avec les morts », écrit-elle en ce sens. Ce serait là une autre caractéristique de son écriture, puisqu’un de ses livres précédents, Premières à éclairer la nuit (Arléa, 2024), mettait en valeur des figures littéraires importantes, féminines cette fois, en exploitant une narration au « je ». À certains égards, ce qu’elle fait dire à Pessoa pourrait s’appliquer à elle-même : « Qui sont ces gens en moi ? Je ne les connais pas encore, mais eux me connaissent déjà. Ils me parlent sans cesse et je dois écrire sous leur dictée ». Cécile A. Holdban, en effet, doit écrire, et c’est tant mieux pour nous.
Antoine Boisclair est poète, essayiste, critique littéraire et professeur de littérature. Son livre le plus récent est un essai intitulé Un poème au milieu du bruit, publié aux Éditions du Noroît en 2021.
Antoine Boisclair est poète, essayiste, critique littéraire et professeur de littérature. Il a fait paraître en 2021 un essai intitulé Un poème au milieu du bruit (Éditions du Noroît).